Les têtes se tournent tandis que nous nous dirigeons vers la tente de réception. Soudain, je ne suis plus la belle-mère embarrassante. Je suis l'énigme, la femme accompagnée d'un beau et puissant compagnon.
« Tu ne m’as jamais dit ton nom », dis-je alors que nous traversons la pelouse bien entretenue.
Il sourit, de nouveau ce sourire chaleureux et ravageur. « Blackwood. Théodore Blackwood. Mais tu m'appelais Théo. »
Le monde bascule. La pelouse impeccable, le quatuor à cordes, le tintement des verres… tout cela s’estompe dans un grondement sourd. Théo. Mon Théo. Le garçon que j’ai aimé avant d’épouser le père de Brandon. Celui qui est parti faire un stage d’été à Londres il y a cinquante ans et n’est jamais revenu. Le garçon dont je n’ai jamais cessé de rêver.
« Tu étais censé être en Europe », dis-je d’une voix chuchotée et stupéfaite.
Il me guide vers un coin tranquille du jardin, à l'abri des regards indiscrets. « Je ne me suis jamais marié, Elener », dit-il doucement. « Et je n'ai jamais cessé de te chercher. »
J'ai le vertige. J'ai l'impression d'avoir 18 et 68 ans à la fois. « Mais je… je me suis mariée », je murmure, énonçant l'évidence, la grande et tragique réalité de ma vie. « J'ai eu un fils. J'ai construit ma vie. »
« Tu es parti », dis-je, la vieille accusation enfouie remontant à la surface avant que je puisse l’arrêter.
Son visage s'assombrit. « Je t'ai écrit des lettres, Elener. Des dizaines. Je suis revenu deux fois. Tu avais déménagé. Ta mère… » Il serre les mâchoires. « Ta mère m'a dit que tu étais fiancée à Robert et que tu ne voulais plus rien avoir à faire avec moi. Tu n'as jamais reçu mes lettres, n'est-ce pas ? »
Et soudain, les pièces du puzzle de ma vie se sont mises en place avec une clarté écœurante. Ma mère. Ma mère fière et critique, qui n'avait jamais aimé Théo, qui disait toujours qu'il était « trop riche » et « trop ambitieux » pour une fille comme moi. La femme qui m'avait encouragée, si gentiment, à épouser Robert, le « sûr et fiable », juste après la disparition de Théo.
« Elle les a jetés », je souffle, les mots ayant un goût de cendre. « Elle les a tous interceptés. »
« Je m'en doutais », la mâchoire de Théo se crispe. « J'ai engagé des détectives privés en 78, mais tu étais déjà mariée. Brandon était né. J'ai vu l'annonce en 89. Deux ans, Elener. C'est tout. Si je t'avais trouvée deux ans plus tôt, nos vies auraient été différentes. »
Il fouille dans sa poche et en sort une coupure de journal usée et pliée. C'est le faire-part de mariage. Vivien et Brandon, souriant aux pages mondaines. « Je l'ai vu le mois dernier », dit-il. « Je savais que c'était toi. Je suis venu m'asseoir tranquillement au fond, pour voir la femme que tu étais devenue. Mais quand j'ai vu comment ils t'ont traitée… quand je les ai vus te mettre au dernier rang… je n'ai pas pu me taire. »
« Maman, il faut qu'on parle. Tout de suite … » La voix de Brandon résonne dans le jardin comme un coup de fouet. Il fonce sur nous, Vivien sur ses talons. Leur éclat nuptial a disparu. Ils ont l'air paniqués, presque effrayés.
Vivien jette un regard perçant et soupçonneux à Théo. « Qui est cet homme ? »
Théo s'avance, sa présence irradiant un calme qui les bouleverse tous deux. « Théodore Blackwood. Et je compte beaucoup pour ta mère. »
Le visage de Vivien se fige. « Quel genre d'histoire ? » demande-t-elle d'une voix à la fois aiguë et douce.
Théo me jette un regard interrogateur et je hoche la tête. Il répond sans hésiter. « Le genre d'amour qui change tout. Ta mère et moi étions amoureux bien avant qu'elle rencontre ton père. »
L'air se fige. Je vois l'expression de mon fils se déformer : choc, confusion, et peut-être même un soupçon de trahison. Comme si l'idée que moi, sa mère, aie une vie, une passion, un passé avant lui était quelque peu offensante.
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